Carnet de voyage

Trois jours à Sète, en passant par le bassin de Thau

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Entre mer, lagune et canaux, reliée à la terre par un cordon de sable fin, Sète semble posée sur l’eau. A cette topographie originale et poétique s’ajoute une identité attachante. Cité maritime au caractère bien trempé, l’île singulière cultive son authenticité.

Sète est née le 29 juillet 1666

Au coeur du vieux Sète, la vierge « Regina Maris », reine des mers, domine l’église Saint-Louis, patron de la ville, et veille sur les pêcheurs.

Sortie des eaux par la volonté de Louis XIV pour donner un débouché au canal du Midi, elle conserve de cette journée inaugurale une tradition bien ancrée, celle des tournois de joutes nautiques qui se jouent chaque été sur ses canaux, et ce depuis plus de trois cents ans ! Cette fête populaire qui participe à son rayonnement touristique n’est que l’un de ses multiples attraits. Expressive, pittoresque, dotée d’une identité bien à elle, Sète est une ville dont on mesure d’entrée la singularité. Pour rejoindre le centre, il faut s’enfoncer dans les rues, remonter les allées, longer les canaux, enjamber les ponts.

Cargos, paquebots de croisière, embarcations traditionnelles et chalutiers témoignent de son importante activité maritime, tandis que l’architecture haussmannienne conserve le charme désuet d’une cité dont le négoce du vin fit jadis la richesse. Avec son chapelet de restaurants et ses façades colorées alignées au bord du canal, le Cadre Royal est le coeur de la ville. C’est le point de départ de ma visite. J’emprunte les docks où chaque jour se tient la criée aux poissons pour rejoindre le môle Saint-Louis. À gauche de la jetée, le port de plaisance, 300 anneaux au total et presque autant de mâts qui se balancent au rythme du clapotis. À droite, la Méditerranée. En face de moi, le phare, gravé d’un vers du poète sétois Paul Valéry, est désormais ouvert au public. Une occasion à saisir pour voir la ville d’en haut.

De retour vers le centre et le quartier des halles, je ne résiste pas à une halte rafraîchissante. Il y a un an, les glaces de la Bouline ont quitté l’atelier de Bouzigues pour ouvrir boutique à Sète. Lydia Benito, ancienne cadre sup reconvertie en artisan glacier, y développe avec créativité une carte dont la réputation n’est plus à faire. Je constate les faits un cornet à la main en remontant les ruelles en direction du Quartier Haut, le plus vieux quartier de la ville. Baptisé « le Petit Naples » en raison de sa communauté de pêcheurs originaires de la côte amalfitaine, c’est aussi un repère d’artistes où règne une ambiance de sud de l’Italie. Ici, comme partout ailleurs dans Sète, des fresques célèbrent le street art comme moyen de réenchanter la ville. Elles forment le Maco, ou Musée à ciel ouvert.

Sète est une ville qui inspire les artistes

À l’est, les ports de Sète-Frontignan sont en plein renouveau grâce aux investissements de la Région qui en est propriétaire. Les grues dressent leurs hautes silhouettes, on croirait voir des girafes marcher au bord de l’eau.

Les habitants de la Pointe Courte, ou « Pointus », entretiennent un certain art de vivre. Ici, on pousse les tables sur les trottoirs pour prendre l’apéritif au bord de l’eau.

Sète est une ville qui inspire les artistes – Paul Valéry, Georges Brassens, Jean Vilar, Agnès Varda, Robert Combas ou les frères Di Rosa pour ne citer que ses plus célèbres ambassadeurs – et jouit d’une belle vitalité culturelle eu égard à sa superficie. Impossible d’envisager Sète sans ses musées et les nombreux festivals qui rythment la vie de la cité. Ce soir, c’est le Crac (Centre régional d’art contemporain) qui mobilise les amateurs d’art à l’occasion de sa nouvelle exposition. Entre les murs de son architecture de béton, la programmation, pointue, attire un public nombreux. À deux pas du Crac, The Marcel est un restaurant réputé qui vient d’obtenir sa première étoile. Pas de quoi en faire tout un plat ! L’institution sétoise cultive l’excellence en toute simplicité et dispose aussi d’une salle « comptoir ». Avant de gagner mon hôtel, je picore des tapas (fameuses !) tandis qu’une formation de jazz assure l’ambiance.

À mon réveil, je prends un bol d’air iodé depuis ma fenêtre, l’eau des canaux miroite sous le soleil.

Je récupère ma voiture et pars à l’assaut du mont Saint-Clair qui domine la ville. La petite route serpente entre les murs de pierres sèches derrière lesquels se nichent de confortables villas et des jardins méditerranéens en terrasse. Le sommet du mont Saint-Clair se résume à une grande croix qui s’illumine le soir et une curieuse chapelle décorée de fresques et d’ex-voto déposés par les familles des pêcheurs. Mais le principal attrait de ce site qui ne se gagne qu’au prix d’une montée épique est la vue, saisissante. Sète s’étend à mes pieds. Plus loin, le bassin de Thau fait figure de véritable mer intérieure, séparée de la Méditerranée par une langue de sable appelée « Lido ». Cet horizon qui se déploie sous mes yeux sera ma destination aujourd’hui. Mais avant de quitter Sète, je fais un détour par la Pointe Courte, un quartier de pêcheurs resté dans son jus. L’îlot – coincé entre pont, chemin de fer, canaux et étang – a gardé toute son âme, avec ses cabanons ensevelis sous les filets de pêche et ses rues aux noms évocateurs : traverses des jouteurs, des rameurs, des pêcheurs, rue la pétanque…

La plage, bordée d’une frange de roseaux et de tamaris, attire les promeneurs en toutes saisons.

J’arrive à Bouzigues pour le déjeuner. Au bord de l’étang de Thau, le village vit essentiellement de l’élevage des huîtres qui font sa réputation, mais aussi de l’activité des petits restaurants alignés sur les rives de la lagune. J’y déguste comme il se doit une douzaine d’huîtres de Bouzigues accompagnée d’un verre de Picpoul, avant de prendre la direction de Frontignan-plage. La route file entre la mer et les étangs que se partagent flamands roses et kitesurfeurs. Sur l’étroit cordon sableux où jadis poussaient les vignes, les maisons s’alignent en front de mer sur quelques kilomètres. Plus loin, en allant vers les Aresquiers, le littoral est protégé. Le sentier de randonnée de l’étang de Vic-la-Gardiole offre, paraît-il, une superbe balade au milieu des prés salés où l’on peut observer de nombreuses espèces d’oiseaux. J’opte finalement pour le bord de mer qui, à cet endroit, a gardé son caractère sauvage.

De retour à Sète, je bois une bière dans le décor brut de La Singulière, une micro-brasserie qui a l’air d’un repère pour marins en escale. Ici, la bière est directement produite sur place, difficile de faire circuit plus court. Au hasard des ruelles, je déniche un petit restaurant décoré avec goût où je commande au comptoir un encornet grillé et une assiette de fromages avant de rejoindre le Domaine Tarbouriech, où je passerai la nuit. À Marseillan, entre les vignes et la lagune, il est la dernière innovation de la famille Tarbouriech, ostréiculteur depuis plus de cinquante ans et inventeur de la marée solaire. On y vient pour découvrir l’exploitation, goûter des huîtres au bord de l’étang, mais aussi manger et dormir dans le cadre raffiné d’une demeure de maître récemment restaurée, et même profiter d’un moment de bien-être au spa où l’huître délivre ses vertus cosmétiques.

La boutique est approvisionnée plusieurs fois par an, au rythme des voyages en Italie de la famille Politi. Julia et Pierre ont l’art de dénicher pour leurs clients les petits fabricants d’huile d’olive, de pâtes sèches ou de mozzarella au goût incomparable.

Nous sommes dimanche matin. Retour à Sète et petit tour au Miam, entendez Musée international des arts modestes, un lieu voulu par le peintre Hervé Di Rosa qui déclare à travers lui son goût pour les arts populaires du monde entier. Impertinent, décomplexé, il met à l’honneur la créativité sous ses formes les plus débridées. Je rejoins ensuite le non moins coloré quartier des halles, qui redevient chaque week-end l’épicentre de l’animation de la ville. La Maison Politi, fabriquant de pâtes depuis plusieurs générations, vient d’ouvrir une nouvelle boutique-atelier dans une rue attenante. Derrière la haute verrière, le père et son fils fabriquent les pâtes à vue pendant que les clients s’approvisionnent en produits italiens ou dégustent une assiette de raviolis à toute heure de la journée.

À l’intérieur des halles, les étals regorgent de poissons et de coquillages de première fraîcheur, mais aussi de spécialités variées : soupes de poisson, rouille et aïoli de la maison Azaïs-Polito, zézettes de Sète, navettes et macarons de la biscuiterie Pouget… Entre les étals, la foule se serre sur les tables des bistrots pour partager des huîtres, des encornets ou moules farcis, une macaronade ou une tielle. Cette délicieuse tourte aux poulpes plus ou moins relevée fait l’objet d’une lutte bon enfant au sein de la communauté sétoise : chacun y va de ses arguments pour défendre la qualité de la garniture de telle maison ou le moelleux de la pâte de telle autre. Sur une terrasse au soleil, accompagnée d’un verre de muscat de Frontignan, je choisis mon camp. L’après-midi est avancée lorsque je quitte Sète. Bientôt, les petits bateaux de croisière sillonneront les canaux, les restaurants de poissons feront salle comble et les jouteurs se donneront en spectacle pour le plaisir des vacanciers. Mais – miracle ! – la cité ne perdra rien de son charme, car l’esprit sétois demeure et cultive sa singularité comme une seconde nature.



Crédits photos © : Dominique Grandemange – 4vents – Port Sud de France, David Crespin, Antoine Darnaud, Laurent Boutonnet, Région Occitanie.